L'assurance-vie, souvent perçue comme un simple produit d'épargne, joue en réalité un rôle crucial dans le financement de l'économie productive française et de l’État. Pour mieux comprendre l'impact concret de l'assurance-vie sur notre tissu économique, nous avons rencontré Mme Florence Lustman, présidente de France Assureurs, la fédération professionnelle du secteur. Du soutien aux entreprises au financement de la transition énergétique, elle nous éclaire sur les enjeux et les défis de ce pilier de l'économie française. Retrouvez également le commentaire inédit de François Pierson, président d'AGIPI.

Pouvez-vous nous expliquer concrètement l'impact de l'assurance-vie sur l'économie réelle française ? 

L'assurance-vie est à la fois le "couteau suisse" de l'épargnant et le "poumon" de l'économie française. Avec 19 millions de détenteurs, 55 millions de contrats et 40 millions de bénéficiaires, l’assurance-vie répond à une multitude de besoins des épargnants : se constituer un capital retraite, une épargne de précaution ou bien un apport pour un projet immobilier ou encore la préparation de la transmission. Sa capacité à conjuguer sécurité, liquidité et potentiel de rendement en fait le produit d’épargne préféré des Français. Les données récentes confirment cet engouement continu. À fin décembre 2024, l'encours d'assurance-vie a atteint le montant considérable de 1 989 milliards d'euros, affichant une croissance de 4,2 % sur un an. Les cotisations ont connu une dynamique exceptionnelle, s'élevant à 173,3 milliards d'euros depuis le début de l'année 2024, soit une augmentation de 14 % (20,9 milliards d'euros) par rapport à l'année précédente. L'ampleur de ces encours (qui représentent l’équivalent de 80 % du PIB français) a un impact systémique majeur sur l’économie française et européenne. Cela confère à l'assurance-vie un rôle de premier plan pour financer à la fois les entreprises mais aussi les infrastructures publiques. 

Fin mars 2024, 63 % de ces encours étaient directement investis dans les titres d'entreprises : 
- 23 % en actions, contribuant à stabiliser le capital des entreprises européennes, 
- 35 % en obligations, assurant à ces mêmes entreprises des financements à long terme, 
- 5 % en immobilier d'entreprise, favorisant le développement des infrastructures commerciales. 

Comment se répartissent les fonds de cette collecte dans le financement des entreprises ?

Comment se répartissent les fonds de cette collecte dans le financement des entreprises ?

L'analyse détaillée des encours à la fin du mois de septembre 2024 révèle que 63 % d’entre eux ont été directement injectés dans l'économie réelle, c’est-à-dire dans des activités productives de la sphère privée. 

Par ailleurs, 23 % des placements (soit 456 milliards d'euros au total) sont alloués au financement des dettes souveraines, c’est-à-dire les emprunts contractés par les États pour financer leurs dépenses publiques. Ces investissements offrent aux assureurs une garantie de sécurité, leur permettant de faire face à leurs engagements envers les assurés tout en continuant à investir dans l'économie productive. Le financement des États est un sujet majeur dans le contexte actuel de déficits publics élevés car il contribue à la stabilité financière du pays. Ces mêmes investissements contribuent également indirectement mais significativement à soutenir les entreprises. Ils participent à la stabilité macroéconomique, favorisent des taux d'intérêt bas favorables aux entreprises et permettent le financement d'infrastructures essentielles au développement économique. 

Enfin, il est important d’observer que plus de 83 % des placements (1 646 milliards d'euros) sont investis en Europe. Cette orientation témoigne d'une approche citoyenne et d'une volonté de contribuer en priorité au développement économique européen.

Quel est l'impact respectif des fonds en euro et unités de compte sur le financement de l'économie réelle ?

L'assurance-vie en France a connu une évolution significative dans la répartition de ses investissements, reflétant une maturité croissante des épargnants. Historiquement, les fonds en euro, caractérisés par leur garantie en capital, ont été privilégiés par les épargnants pour leur sécurité. Principalement investis dans des obligations d'État et d'entreprises, ils contribuent à la stabilité financière et au financement à long terme de l'économie, assurant un flux constant de capitaux en faveur des acteurs économiques. Cependant, la tendance à la diversification vers les unités de compte s'est accélérée ces dernières années.

En 2024, la part des flux en unités de compte représentait près de 60 % des investissements. Cette évolution s'explique assez simplement : après avoir sécurisé une base d'épargne solide constituée via les fonds en euro, les épargnants sont de plus en plus enclins à prendre des risques modérés sur une partie de leur épargne. Ils se tournent alors vers les unités de compte dans l'espoir d'obtenir de meilleures performances à long terme. Lorsqu'on interroge les Français sur leurs priorités en matière de placements, 30 % d’entre eux citent la sécurité comme critère principal, 30 % privilégient la liquidité, tandis que seulement 15 % mettent en avant la performance. C'est précisément pour ces raisons que l'assurance-vie demeure le produit d'épargne préféré des Français : elle répond de manière optimale à tous leurs besoins. Cette approche combinant prudence et recherche de performance témoigne d'une sophistication accrue des stratégies d'épargne des Français en matière d'assurance-vie. 

Comment l'assurance-vie s'adapte-t-elle aux défis environnementaux et quel rôle jouera-t-elle dans le financement de la transition écologique dans les années à venir ?

Les perspectives d'évolution du rôle de l'assurance-vie dans le financement de l'économie pour les années à venir sont étroitement liées aux défis environnementaux actuels, en particulier la lutte contre le changement climatique. 

Les assureurs se trouvent en première ligne. Ils sont directement confrontés aux conséquences financières des événements climatiques extrêmes, dont la fréquence et l'intensité ne cessent d'augmenter. Cette exposition accrue aux risques climatiques les pousse à repenser leurs modèles en profondeur. C’est la raison qui explique l’intégration croissante de critères environnementaux dans les stratégies d'investissement des acteurs du marché, orientant ainsi une part grandissante des capitaux vers des secteurs et des entreprises engagés dans la transition énergétique et écologique.

Les assureurs ont donc un rôle crucial à jouer dans le financement de la transition vers une économie durable. On estime que 7 000 milliards d'euros d'investissements seront nécessaires pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) à l’horizon 2030. L'assurance-vie, en tant que principal vecteur d'épargne en France, sera indispensable pour mobiliser les capitaux nécessaires. Aujourd’hui, 28 % des UC sont labellisés investissements responsables. On peut donc anticiper une évolution des produits d'assurance-vie, avec une augmentation des supports d'investissement labellisés “Investissement Socialement Responsable” (ISR) ou thématiques liés à la transition écologique. Cette tendance pourrait se traduire par une réorientation progressive des encours vers des actifs verts et durables, renforçant ainsi le rôle de l'assurance-vie comme levier de financement de la transition écologique. Cette évolution répond à la demande croissante des assurés pour des placements ayant un impact positif sur l'environnement.

France Assureurs représente 254 sociétés d'assurance et de réassurance en France, couvrant plus de 99 % du marché. La Fédération, créée en 2016, agit comme interlocutrice privilégiée auprès des Pouvoirs publics et institutions. Sa mission : promouvoir la prévention et la protection face aux risques sociétaux, soutenir l'évolution du secteur, et contribuer au financement de l'économie française. France Assureurs s'engage activement dans les défis économiques, sociaux et environnementaux, fidèle à sa raison d'être : "Faire avancer la société en confiance".

En quelques chiffres Florence Lustman fait la démonstration du rôle majeur joué par l’assurance vie au service de l’économie française. Ce qui me paraît particulièrement intéressant dans son analyse, c’est sa perspective historique, parce qu’elle montre comment l’assurance vie s’est adaptée aux besoins du pays pour accompagner l’épargne des Français sur des générations. Lorsqu’elle a pris son essor dans les années 80, l’assurance vie a répondu à la volonté des pouvoirs publics de créer une épargne longue mais aussi, grâce au fonds euros, au besoin de financement de l’État, soucieux de placer sa dette.
Il faut rendre justice au fonds en euros : loin de n’être investi qu’en obligations d’État, il comporte une part aujourd’hui majoritaire de dettes d’entreprises, d’actions et d’immobilier. Et grâce à la mécanique qui lui est propre, de ces titres volatils et divers, requérant une détention longue, il fait un produit très simple, liquide et garanti à tout moment, et performant.
Florence Lustman le montre bien, grâce à ses qualités, le fonds euros a été un catalyseur puissant pour développer l’épargne financière des Français. Par la suite, ces épargnants, plus avertis, ont pu s’orienter avec succès vers d’autres objectifs, assurant un financement plus direct des entreprises par les unités de compte.
L’eurocroissance, dont le succès est manifeste dans l’activité d’AGIPI, est un nouveau venu qui s’inscrit parfaitement dans cette dynamique de diversification de l’épargne des Français car il renouvelle les équilibres jusqu’alors proposés par le fonds euros d’un côté et les unités de compte de l’autre, entre garantie, liquidité et performance.
On parle beaucoup d’éducation financière. Certes, elle est nécessaire mais c’est bien la pratique de l’épargne au quotidien, le fait d’investir concrètement, en étant accompagné par le conseil approprié, qui a formé et continue de former des générations d’épargnants et permet, au fil des ans cette transformation de l’épargne nationale.  Avec 19 millions de détenteurs, l’assurance vie est sans doute le vecteur qui a le plus œuvré à cela.

L’investissement durable et dans la transition énergétique constitue une étape supplémentaire dans laquelle le secteur, et AGIPI parmi les premiers, est bien engagé. Pour autant une mise en garde s’impose. Si aujourd’hui, l’assurance vie rassemble des encours d’un montant proche de celui du PIB de la France, c’est parce que par sa dynamique propre, par son écoute de ses clients, par la simplicité de l’offre, en un mot parce qu’elle constitue un marché très concurrentiel, elle s’est transformée, comme Florence Lustman le rappelle, tout au long des décennies.
La tentation est forte pour les pouvoirs publics, à Paris comme à Bruxelles, de forcer ces évolutions dans la direction qui leur semblera la plus conforme à ce qu’ils estiment être l’intérêt général. Gardons-nous de ce dirigisme. L’assurance vie, c’est l’épargne des Français qui doivent rester libres de placer leur argent. Faisons confiance aux épargnants et aux assureurs pour préserver ce pacte jusqu’à présent si fructueux entre l’assurance vie, les Français et l’économie de la nation.

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